Je tends vers l’absolu. En tout, mon premier réflexe va être d’aller jusqu’au bout, au plus fort, au plus loin, au plus radical. On me dit que suis excessive, et même si j’ai arrêté de me complaire dans le goût de l’absolu (*) tel que défini par Aragon il y a un moment, je trouve encore que tout ce qu’il y a d’aimable et de fou en moi peut se retrouver dans des histoires de cascades et d’inondations.
Comme un peu tous les êtres humains je pense, je suis séduite par l’idée d’avoir une ligne de conduite qui fonctionne sur toutes les situations. D’avoir la solution pour trouver à coup sûr comment agir de façon à continuer à grandir d’une façon qui, éthiquement, me convienne.
J’ai trouvé une partie de ma solution avec ce que j’appelle la vulnérabilité radicale. Speak the truth, say it straight, simple and with a smile, comme me l’a intimé mon thé il y a quelques jours. Le principe, c’est une transparence absolue associée à des notions de communication non violente, et il faut bien admettre que cette transparence évite bien des problèmes, et est un bon outil pour choisir les personnes avec qui construire notre chemin.
Souvent, quand on a été honnête avec autrui, et au passage avec soi-même, le chemin s’éclaire de lui-même : avoir posé des mots sur nos ressentis rend nos aspirations plus explicites. Ainsi, si je suis capable, il y a quelques années, d’admettre un sentiment de jalousie et d’insuffisance personnelle diffuses lorsque j’entends parler de personnes qui, ayant mon âge, sont comédiennes, il semble évident que la réponse est que, peut-être, je devrais m’autoriser à jouer et cesser de trouver des excuses pour ne pas prendre le risque de démarrer.
Seulement, parfois la réponse n’est pas aussi simple. Parfois, grandir ne passe pas par le fait de prendre le monde par les cornes et de soumettre la circonstance. Parfois on apprend davantage en admettant que tout ne peut pas être contrôlé.
Mais à partir de quand la bascule se fait-elle ?
À quel moment se battre devient-il simplement se débattre en refusant l’altérité du monde ? À quel moment l’acceptation et la sérénité deviennent-elles de la passivité ?
Si je suis dans une situation qui me cause de la souffrance, comment savoir si j’ai besoin d’y rester pour apprendre comment la surmonter, parce que cette souffrance me dit des choses sur moi que je peux travailler, ou s’il faut au contraire la fuir parce qu’elle est abusive ?
Si l’un de mes projets ne fonctionne pas, l’univers est-il en train de me dire « acharne-toi », « change de stratégie » ou « ce projet n’est pas celui qui est important pour toi en ce moment » ?
Alors, pour sortir de ce doute, on est obligés de faire cet exercice inconfortable qui consiste à se demander vraiment ce que l’on veut.
C’est inconfortable parce que la société dans laquelle nous évoluons ne nous a pas habitués à avoir des aspirations personnelles qui sortent du cadre de ce qu’elle a défini comme bon. Elle est une machine à formater, non à faire s’accomplir chacun dans son individualité. Et ça se comprend, en un sens : comment obtenir le calme si chacun poursuit une aspiration différente ?
Mais peut-être que ce calme-là n’est pas celui qu’il nous faut.
Peut-être que ça ne l’a jamais été. Peut-être que ce calme est celui de la mort, là où la vie tend vers la pousse, le développement, la diversité, les cycles.
Quand je me pose la question Qu’est-ce que je veux ?, je m’autorise, pour un instant, à exister en dehors des cadres qu’on a construits pour moi. Et c’est terrifiant parce qu’une fois que j’ai compris dans quelle direction je voulais pousser, le fait d’y aller ou non relève uniquement de ma responsabilité.
Une fois qu’on a défini vers où on veut aller, et quel chemin mène vers là tandis que l’autre nous fait régresser, la décision n’est plus de se battre ou d’accepter, mais de grandir ou de reculer, quel que soit le chemin qui mène à quoi.
Et, quelles que soient les choses que j’ai besoin de surmonter (de l’affrontement ou au contraire le fait de laisser passer les choses sur moi) pour grandir, dès lors que je décide de ne pas m’y confronter, je choisis en fait de ne pas grandir. Je choisis le confort de l’échec annoncé. Je choisis les « Je l’avais bien dit » au lieu des « Wow, je ne pensais pas que ce chemin me mènerait aussi loin ».
Quel chemin voulons-nous prendre ?
(*) Pour la culture : Celui qui a le goût de l’absolu peut le savoir ou l’ignorer, être porté par lui à la tête des peuples, au front des armées, ou en être paralysé dans la vie ordinaire, et réduit à un négativisme de quartier ; celui qui a le goût de l’absolu peut être un innocent, un fou, un ambitieux ou un pédant, mais il ne peut pas être heureux. De ce qui ferait son bonheur, il exige toujours davantage. Il détruit par une rage tournée sur elle-même ce qui serait son contentement. Il est dépourvu de la plus légère aptitude au bonheur. J’ajouterai qu’il se complaît dans ce qui le consume. Qu’il confond sa disgrâce avec je ne sais quelle idée de la dignité, de la grandeur, de la morale, suivant le tour de son esprit, son éducation, les mœurs de son milieu. – Aurélien, Louis Aragon.
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