Ce texte a été écrit lors d’un atelier d’écriture animé par Mélie Boltz Nasr sur la réécriture de contes de fées, ici la fin de la scène de fuite horrifique dans les bois dans la version de Disney.
Un rai de lumière l’extirpa de sa somnolence, la buée d’un souffle étranger contre sa peau. Garder les yeux fermés ce serait rester dans le royaume de ses cauchemars, ce serait laisser à toutes les reines et à tous les chasseurs et à tous les monstres du monde le temps de venir après elle.
Elle ouvrit les yeux et se vit cernée. Les dents, protubérantes, absurdes de l’être qui se tenait à un pas d’elle lui arrachèrent un cri d’horreur. Il recule ! Le monstre devait s’attendre à une proie sans défense. Eh bien, non ! Blanche-Neige en a assez de fuir et le crie aux ombres qui se massent et se pourlèchent depuis les taillis, à s’en briser la voix tant qu’elle ne chantera plus avant longtemps. Dormir au milieu d’un cauchemar c’est tout de même dormir ; maintenant elle en a assez de trébucher, de tomber et de se trouver saisie aux cheveux, à la jupe, aux plis de ses manches. Aujourd’hui, Blanche-Neige tiendra ses positions. Elle se soulève, vite avant que l’ennemi se ressaisisse et attaque. Elle ramasse une pierre, puis deux. Et elle projette, vite pour ne plus avoir le temps de penser, les pierres sur eux. Ses peurs font la visée.
Les animaux éberlués ont déjà été attaqués, mais jamais de cette façon désordonnée et c’est ce qui perd certains d’entre eux. Quand elle agissait comme une proie, l’humaine était objet de curiosités ; mais trop, c’est trop. La plupart s’en vont ; les plus hardis décident, eux aussi, qu’il est temps que la peur change de camp.
Dès lors la bataille vient à Blanche-Neige et cette fois ce ne sont plus ses vêtements que l’on griffe et accroche, picore et lacère. On ne peut pas jeter de pierres si près de soi-même et elle doit bientôt se défendre à mains nues. Les dents des herbivores auxquels elle peint les traits de fantômes gluants ou hérissés mais toujours trop réels ne peuvent lui faire grand mal ; mais ils rappellent ce qui serait, ce qui aurait pu, le couteau du chasseur levé au-dessus d’elle. Depuis le sol, on l’escalade, on défend son territoire et on venge les camarades aux petits crânes écrasés, quelle que soit leur espèce.
Il faudrait que Blanche-Neige puisse se sortir de là, qu’elle voie le monde tel qu’il est ; mais il est trop tard. Dans son empressement à cesser d’être victime elle est devenue coupable. Enfin, deux oiseaux fondent sur ses yeux et en arrachent les hallucinations. Enfin, le noir revenu, elle se calme. Entre ses doigts, elle sent bien que ce ne sont là que d’ordinaires plumes de mésange. Elle n’a plus d’images sur lesquelles projeter ses tourments, et elle comprend.
Elle s’écroule, elle est vaincue. Ce n’est la faute de personne et tout le monde a perdu.