Scattered leaflet – randomness
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« Je devrais te laisser.

Je devrais, certainement, m’éloigner dès maintenant, alors que tu ne m’as qu’entre-aperçue, et partir loin, à l’abri de tout ce qui te rend dangereux pour moi.

Je devrais m’éloigner non pas à cause de ce qui ne pourra être, mais bien davantage parce que tout cela a bien plus de chances d’exister qu’il ne devrait. Parce que, vois-tu, tu n’es pas seulement beau ; tu es aussi – surtout ? – plus beau. Pas seulement lettré – plus lettré. Et sans doute, en creusant un peu, en grattant délicatement plutôt, je trouverais que tu es même plus dépenaillé, là, tout au fond.

Et pourtant.

Et pourtant il y a ton odeur qui n’existe pas encore et ta voix que je devine à peine et le contact de tes lèvres que je ne peux qu’imaginer. Il y a tes mots surtout, cailloux qui, un à un, te font sortir du fantasme et dessinent une image de plus en plus précise. Il y a la curiosité, et déjà le désir.

Je devrais m’éclipser parce que tu n’es pas encore réel et entier à mes yeux, et bientôt je penserai que c’est parce que tu le deviens. Mais ta pensée – ma pensée, la mosaïque que j’ai faite de toi – me tient, et je la laisse faire, aussi proche que transparente. Peut-être est-ce moi qui la tiens aussi proche que possible parce qu’alors mon corps s’éveille et je sens le tien contre ma peau tout en me demandant quelles sont ses textures.

Et ensuite tu existes.

Pas à cause de l’accumulation. Pas parce qu’il y a longtemps ou parce qu’il n’y a pas d’échappatoire, pas parce que j’en sais beaucoup plus, suffisamment plus. Il aurait suffi d’un moment, un ton de voix, un regard – il y a eu ces choses-là, mais surtout il y a eu les mots lus et récités. Ceux-là t’ont rendu non seulement réel, mais unique.

Et peut-être que c’est maintenant que je devrais partir, car je m’en rappelle maintenant : il y a bien plus dangereux qu’un être qui simplement existe.

Et ensuite tu es là. Tu es là sans y être et c’est moi qui m’en irai bientôt mais en attendant c’est toi qui me refuses tes textures. Je porte mon coeur alourdi, fièrement, comme un satané étendard que je n’ai plus le droit de lâcher, et peut-être que c’est bien – et c’est dommage. Parce que quand tu es là je réalise à quel point je ne laisse plus personne y être – de quel façon la porte s’est refermée, degré par degré, jusqu’à disparaître.

Tu ne sauras pas ça. Je n’y serai bientôt plus. »

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