Le nom qu’on choisit
Le nom qu’on choisit

Le nom qu’on choisit

« The name we choose, it’s like a promise we make. »
– Le Docteur

Hier avec un ami, on parlait des paradigmes relationnels, et surtout de leur évolution. Vous savez, un peu comme dans l’expérience des trois catégories de rats. On a tendance à s’arranger, les uns par rapport aux autres, par cases. Dominant / dominé. Soignant / soigné. Leader / suiveur. Ça, c’est en théorie, mais moins on est déconstruit, plus ça s’applique. Et le truc intéressant que nous apprend l’expérience des rats c’est que même en ayant plutôt une nature dominante, on peut se retrouver dans un paradigme de soumission, qu’il soit consenti ou non.

Mais il y a cette troisième catégorie de rats qui nous pose bien des problèmes. C’est celle des indépendants. Les indépendants, on ne sait pas trop quoi en faire. Ni patron ni salarié. Ni mentor ni élève. On n’est pas dans un monde où ça semble normal, ça. Quelqu’un qui ne donne, ni ne reçoit, d’ordres, c’est une anomalie.

Et une anomalie, ça se soigne ou ça s’efface.

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Image parfaite volée sur l’Instagram de Marika (@marika.leila)

De temps en temps on se retrouve dans des paradigmes relationnels qui, soit ne sont pas destinés à durer (crise, accident, circonstances particulières), soit dans lesquels on nous force au chausse-pied et au burin. Cette dernière catégorie de paradigmes, soit on s’y laisse mettre parce que ça nous va d’une façon ou d’une autre (résistance par rapport à nos aspirations réelles, envie de faire plaisir, peur de blesser l’autre), soit on s’y est carrément retrouvés par manipulation. Dans un cas comme dans l’autre, à terme, ça ne nous conviendra pas.

Et il faudra que le paradigme de cette relation change ou qu’elle se brise.

Et plus longtemps vous attendrez avant de la briser, plus grand en sera le fracas.

Changer de paradigme, c’est compliqué.

Je peux citer au moins quatre relations amicales dont j’ai fini par sortir parce que le paradigme ne m’en convenait plus. Vous savez ce moment où vous ouvrez vos ailes et où, au lieu de vous encourager, votre entourage se met brutalement à être énervé par tout ce que vous dites ? Ce moment où, au lieu de malheurs à raconter, vous avez soudainement des choses enthousiasmantes à partager, et où ça n’a manifestement pas la même saveur pour l’autre ?

Et inversement, ce moment où vous commencez à prendre conscience de ce dont vous avez besoin dans la vie et où on vous coupe, où on vous explique que non, vous vous trompez, ce n’est pas ça, qui vous êtes, que ce n’est pas ça, ce que vous voulez, que ce n’était pas ça, ce que vous ressentiez. Et où c’est vous qui commencez à ne plus vouloir tolérer ça.

Il y a quelqu’un dans ma vie que j’ai mis d’office dans la position du sauveur. La mise en scène était parfaite, quoiqu’un brin dramatique. Au cinéma, on m’aurait reproché de trop verser dans une narration explicative. Mais bref, je savais que c’était chez lui que je trouverais les outils pour m’en sortir et je les ai trouvés.

Et je n’ai jamais vu un changement de paradigme relationnel s’effectuer avec autant de facilité.

C’était fluide, logique. On ne l’a presque pas senti passer. En l’espace d’un instant je me suis retrouvée avec un ami et il était évident que cette position-là se trouvait en germe dans tout ce qui avait précédé.

Et c’est beau quand ça se passe comme ça.

C’est beau quand les gens à qui vous tenez vous laissent changer. À la limite, ils n’ont même pas besoin de vous encourager. Vous laisser être, ça suffit largement. C’est beau quand on ne vous interdit pas de grandir à coups d’arguments loyalistes. C’est beau de côtoyer des personnes qui ne nient pas qui nous sommes.

Et c’est beau de pouvoir choisir qui on est et le revendiquer.

En changeant de nom d’artiste il y a deux ans, j’ai clos une phase de ma vie où j’acceptais de me faire marcher dessus pour ne pas blesser les autres. Je me suis quand même encore un peu fait marcher dessus par la suite. Le temps que la tête apprenne ce que le corps savait déjà. No more.

En laissant tomber Sirithil j’ai promis que j’étais désormais celle qui décidait de ma vie, et à quelque chose près, c’est ce à quoi je parviens tous les jours. J’ai promis qu’on ne m’expliquerait plus qui j’étais. J’ai promis que, sans nier les peines de celle que j’étais, je ne la laisserais pas se mettre en travers de celle que je devenais.

En arrêtant d’avoir un pseudonyme par activité, j’ai promis que désormais j’embrasserais tout ce que je faisais, parce que tout ça faisait partie de moi. J’ai promis que je n’étais plus une myriade de personnages, mais bien celle qui les façonnait.

Les mots sont importants.

En changeant les mots, on change la réalité. C’est comme ça qu’on a déqualifié les exploités en défavorisés, c’est comme ça qu’on nous a volé la gauche. Mais c’est comme ça aussi que vous pouvez reprendre vos droits sur cette notion fluide et mouvante, mais qui désigne ce qui vous appartient et vous appartiendra toujours.

Qui vous êtes.

– Photo : Coline Sentenac, qui non seulement me laisse exister mais pressent tout cela en photo avant que ça n’arrive.

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Un commentaire

  1. J’ai découvert votre livre au salon de la photo à Paris en novembre dernier, je l’ai acheté par pure attirance magnétique, et je n’ai pas regretté une seule seconde depuis le moment où j’ai lu la préface. Je me reconnais devant votre parcours (la réalisation artistique en moins, mais ce qui compte c’est d’avancer pas à pas vers ce qui nous ressemble !) et c’est confirmé en lisant cet article ! Quand on effectue un changement aussi violent, à la fois impossible à arrêter une fois que la machine est en marche, profondément excitant et incroyablement terrifiant (parce que oui, c’est terrifiant de réussir quand la seule chose qu’on vous a toujours dit c’est que la vie, c’était une merde vouée à l’échec), je crois que le plus dur, c’est de voir tout ce que ça chamboule au niveau relationnel.

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