Le retour
Le retour

Le retour

Honnêtement, je ne m’y serais pas mieux prise si, intentionnellement, j’avais prévu de rater mon avion.

Posons cartes sur table : les voyages, c’est bien. Un mois et demi, c’est bien trop court.

Cela admis, en ayant un minimum d’honnêteté intellectuelle et de compassion pour la moi moins âgée de trois mois qui a acheté ces billets d’avion totalement au hasard, trois mois n’auraient pas été assez, non plus qu’un an. Les voyages sont un creuset qui offre une vitesse de transformation sans égale, à mon avis. Mais la transformation peut aller à l’infini, et la nature a besoin de cycles. La mienne, en ce moment, encore plus.

À San Francisco, je me suis rendu compte avec un brin de culpabilité qu’en fait je n’étais pas si mécontente de repartir. Je discutais avec un de ces miroirs que la vie te colle devant la gueule parfois pour te mettre en garde, parfois pour t’encourager, une sorte d’objet complètement improbable dont l’impact te laisse pourtant sur ton axe et te confirme que oui oui, tu es bien plantée sur tes pieds avant de s’en aller comme si de rien n’était, et il a qualifié le fait que je reparte dans la semaine de lame, m’enjoignant donc à rester dans sa ville et arguant que quand même, ça, comparé à la France, c’était tout de même drôlement plus intéressant. « You may be right, but I do have some exciting stuff going on in France », lui ai-je dit. Il a demandé ce qui pouvait bien valoir le coup de rentrer et j’ai dit que j’avais mon livre à sortir et des tournages à réaliser. Il a tiqué à « livre » et a validé mon excuse comme étant suffisante. Tu m’étonnes.

Mais en vérité, il n’y a pas que de grandes choses impressionnantes qui me semblent excitantes dans ce retour. Sous la sur-couche de stress, des peurs qui s’associent à cette idée de retour – Vais-je régresser ? Mes amis m’auront-ils oublié ? Je le savais que c’était un gros risque de partir un mois et demi alors je ne pourrai pas leur en vouloir. Et si mon livre ne plaît pas ? Et si j’avais fait tout ça pour rien ? Et si ma place était ici avec un sac à dos et un pouce ? -, il y a quelque chose de nouveau qui va se produire. Lors d’une conversation avec une autre Française auto-exilée dans les mêmes conditions ou presque, j’ai dit ceci : on peut choisir d’utiliser ce qu’on a appris pour ne plus nous laisser faire par ce qu’il y a de mauvais en France. Et dans mon cas, on ne devrait même pas parler de retour, mais d’arrivée.

J’ai fait le ménage. Pour la première fois de ma vie je vais me retrouver en France avec uniquement un entourage supportif et non prompt au jugement. Je n’ai plus de béquilles ou d’attelles imposées. Je ne traîne plus les poids d’autrui dans mes poches et les miens propres me semblent soudain bien plus facilement gérables. Par-dessus le marché, ma santé est bonne et je n’ai même plus l’urgence de finir mon livre avec le retard qu’on en savait et la deadline qui se trouvait de plus en plus loin derrière sans pour autant que j’aie fini.

Je suis libre.

Je vais enfin découvrir à quoi ressemble ma vie quotidienne. J’ai arrêté d’avoir besoin de survivre à chaque instant.

Je me rappelle d’un épisode de Doctor Who où David Tennant qualifie le fait de vieillir et de mourir à un seul endroit, d’avoir une famille et une vie normale, comme une aventure que lui n’a jamais connue. Je suis très, très loin de partager ce dream of a normal death, mais ce sentiment fait écho à celui qui est le mien quand je réalise que même en France tout reste à construire. Mes habitudes, mes relations ont muté au point que je puisse n’avoir aucune idée d’à quoi m’attendre.

Et c’est grisant parce que la peur est partie. Ou plutôt parce qu’elle se transforme elle-même en ce sentiment grisant. Et la seule chose qui la modifie de la sorte, c’est ma certitude que désormais tout ira bien.