J’étais en train d’écrire un sous-chapitre de mon livre qui concerne la façon de communiquer en séance photo, et comme on ne se refait pas, je parlais de consentement. La réflexion m’est venue qu’une séance photo, c’est simple comme une tasse de thé, ou autrement dit qu’on peut transposer tout ce qu’on dit du sexe aux séances photo. Sans pour autant que ça place la séance photo dans un cadre sexuel, d’ailleurs. Mais comme au lit, et comme dans la préparation du thé, on a le droit de dire non, on a le droit d’avoir dit oui mais de finalement se sentir mal à l’aise et de dire non, on a le droit de demander le respect de notre zone de confort, on a le droit de dire stop. Ca semble évidemment plus compliqué dans le cadre d’une séance de commande, mais ça ne devrait pas l’être, quand on y réfléchit, puisque ça reviendrait à dire qu’on se fout des séances de collab. Ou que l’argent peut acheter le fait de se passer de notre consentement. Dans les deux cas, ça semble problématique.
Bon, et donc j’écrivais globalement ça, quand mon esprit a divagué via le parallèle sexe – thé – séance photo sur des problématiques d’évolution personnelle. Si j’ai appris “à la dure” que je pouvais dire non et envoyer paître un photographe indélicat lors d’un shooting, je n’ai appris que plus tard, bien plus tard, que j’avais le droit de faire de même dans l’intimité.
Parce qu’un jour, j’ai cessé d’agir comme mon éducation m’y prédisposait, cessé de croire que dire “non, je n’ai pas envie maintenant”, c’était violent et mal de ma part, cessé de croire que “laisser faire parce que c’est plus simple et ça m’évitera une discussion houleuse”, c’était acceptable, et surtout totalement assumé le fait que quand je disais “non”, c’était “non”, et que sur quinze “non, je n’ai pas envie de monter chez toi”, il y en avait quatorze de trop, point. Et que si les gens n’étaient pas contents, c’était bien leur problème.
Et tout ça a commencé un jour, avec un moment de malaise qui m’en a rappelé un autre, et avec cette pensée :
“Mais au fait, la dernière fois que j’ai ressenti ça j’ai foutu mon pied dans la poitrine du mec qui essayait de me tripoter. Pourquoi “excuse-moi mais tu es trop belle” serait une excuse pour n’importe quel autre type qu’un photographe ? Pourquoi je serais légitime à dire non à un photographe, mais pas à mon mec ? Est-ce à dire que tous les hommes ont des droits sur mon corps, sauf les photographes ? C’est quand même ballot.”
Et puis, un photographe qui empiète sur ton espace et piétine ton consentement, ce n’est pas forcément un pervers. Déjà parce que l’empiètement ne se produit pas forcément sur du sexualisé (je ne suis pas concernée par cette phrase mais insister très fort pour que tu ailles dans la cascade alors que tu ne te sens pas de le faire, c’est aussi empiéter sur ton consentement), et ensuite parce que parfois, on ne leur a juste pas dit qu’insister lourdement se marie mal avec le respect d’autrui. (Qu’on aie à apprendre ça à des adultes est un problème, mais ça, c’est un sujet de thèse, à ce niveau.)
L’apprentissage du respect de mon consentement a pris racine en séance photo et ne s’est déplacé dans la sphère privée que bien plus tard.
J’ai failli trouver ça dérangeant quand la pensée m’est venue il y a quelques jours, et puis je me suis rendu compte que j’avais juste construit ma confiance en moi dans le cadre professionnel avant de la déplacer dans le cadre personnel, là où plein de gens prennent des schémas personnels et les transposent dans leur vie professionnelle.
Et donc, j’ai appris en posant que si mon corps n’était pas en libre-service pour les photographes, il ne l’était pas non plus pour le reste de l’espèce humaine.
Forte de cette constatation, j’en ai peu à peu profité pour appliquer à ma vie privée les choses que j’avais apprises en posant. Un ami proche m’a dit un jour “Quand on te regarde poser, tu n’es plus la même personne, on dirait que tu te libères et que pendant ce laps de temps tu es au courant de ta force.” Au-delà du caractère ouvertement flatteur de la phrase, j’ai analysé cette observation via ce qui se passe quand je pose : je me plonge dans un état semi-méditatif, qui me permet d’oublier de penser et d’être dans le “faire” pur. Ce qui implique entre autres : sortir de la boîte dans laquelle, en tant que femme, je me mets tous les jours pour éviter les interactions non désirées dans la rue, laisser vivre le corps, assumer qu’à certains moments, on a envie de faire une pose, une expression, de sortir quelque chose, même si pour ça on doit rentrer dans la personne en face. Avec une forme de violence, parfois, mais qui représente une forme d’inversion du duo stéréotypique voyeur / vu qu’on associe souvent à la photographie de modèle. Et généralement, les photographes sont contents qu’on leur rentre dedans. Je pense que les gens de la vraie vie aussi, une fois la surprise passée.
Je crois que j’ai tout fait à l’envers, mais ce que j’essaie de vous dire, c’est qu’en posant j’ai accepté pour la première fois que j’avais ma place là où j’étais, que mon existence était légitime, et que je pouvais être en position de puissance sans pour autant écraser l’autre, que je n’avais pas à me laisser marcher dessus. Et que ça m’a fait grandir en tant que personne, y compris dans des domaines totalement inattendus.
Et je pense que quelque part, si je vous raconte mon histoire, c’est parce que j’ai envie que ça vous apporte la même chose.
Un très bel article et très touchant. J’espère qu’il aidera des lecteurs/trices dans des cas similaires!
Pour te rassurer un peu, tu es loin d’être la seule dans ce cas. Je vois danses métiers passés ou mon actuel, des gens se révéler un potentiel ou un caractère qui leur sert au quotidien. C’est justement là que la joie se trouve dans le travail je trouve!