La fin et la suite
La fin et la suite

La fin et la suite

Bon, eh bien voilà.

Telle que vous me voyez, je suis dans un café à Londres en train d’attendre qu’un copain sorte de studio d’enregistrement, je bouquine Turning pro de Steven Pressfield après avoir dévoré Nobody wants to read your sh*t du même auteur, et je soigne à coups de passages de frontières ma dépression post-partum. Quand Anaël Verdier m’a diagnostiqué celle-ci par sms en début d’après-midi, ça m’a soulagée ; j’étais à deux doigts de penser que j’étais simplement une dépressive chronique et que je ne m’en sortirais jamais puisqu’objectivement tout allait bien.

J’avais fini d’écrire mon premier jet. Je ne le trouvais même pas si nul. En fait, je le trouve plutôt bien.
J’avais évidemment peur qu’une modèle ou l’autre, lisant mon livre, décrète que j’avais raconté uniquement de la merde, que je n’étais pas légitime et que de toute façon je ne savais pas poser, et j’avais peur que cet hypothétique bourreau aie raison ; mais ça, c’est la spirale du doute périodique en action, et j’ai appris à la reconnaître pour ce qu’elle est.
J’avais eu une belle surprise, totalement inattendue, et plus d’éléments objectifs que de raison pour pouvoir me dire que personnellement aussi, tout allait bien.
J’allais prendre un avion pour Londres, me mettant ainsi hors de portée de toute tentative d’organisation d’un de ces anniversaires surprise désastreux où vous n’avez aucune envie d’être (trop de gens) et où on vous somme de faire bonne figure, tout en ne restant pas cloîtrée chez moi à ne rien faire. En partant dans un autre pays tout en ne prévoyant rien de spécifique pour la date tant redoutée, j’inaugure ainsi ce que j’appelle l’anniversaire de Schrödinger. Et cette idée me met en joie.

Et pourtant j’étais triste. On aurait pu me faire rejouer la fin de Que ma joie demeure.

Et puis, comme une évidence : « mais meuf, tu viens de passer je sais pas combien de mois sous pression et là ça retombe, c’est la peur du vide. Tous les artistes font ça. »
Ah mais oui.
Maintenant que vous le dites.

Et donc, quand on m’a dit « dépression post-partum« , ça m’a fait rire, parce que je me suis dit « Encore heureux que je ne veuille pas d’enfants si un livre me fait ça ». Puis je me suis rappelée que, juste en finissant, j’étais retournée voir Rogue One – meilleur Star Wars sorti depuis ma naissance, ce film m’a fait quasiment pleurer de joie tant l’ascenseur émotionnel avec l’autre film sorti le 16 décembre 2015 était fort – j’avais enchaîné sur tous les side-textes que je devais écrire pour le livre : l’avant-propos, les remerciements, la nouvelle version du synopsis pour la C4, ma bio, bref, tout pour ne pas m’arrêter. Et ce qui est drôle c’est que j’ai employé « gestation » alors que je ne fais jamais de métaphores basées sur la maternité. Mais jamais.

Coucou, le fruit de huit ans de ta vie vient de sortir de toi. Tu le vis bien ?

De quoi tu as envie maintenant ?
De recommencer, avoue-le.
De voir à quoi ressemble ta montagne.
Ne nie pas.

Vous voyez, le déni est un mécanisme d’évitement récurrent chez moi. Je vous invite à le constater sur pièces à travers ce dialogue de 2013 avec un ami, quand j’étais « juste-modèle » et que je n’admettais pas que ce que je voulais, c’était jouer. Je me disais que c’était trop tard, que si je n’avais pas commencé étant enfant, c’était mort, etc.

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Avouez. C’est transparent.

J’ai retrouvé cette conversation il y a peu et j’en ai fait une capture d’écran que je conserve depuis pour me rappeler des tours que me joue mon cerveau quand il décide que le confort c’est mieux que le risque. Je n’ai pas d’exemple aussi frappant concernant l’écriture, sauf peut-être ce texte de janvier 2015 que j’ai réussi à conclure en disant que je n’écrivais pas, après, obviously, l’avoir écrit.

Ah, au fait, je ne vous l’ai pas dit sur ce blog : j’ai fini d’écrire mon premier jet.
C’est de la folie.
Vous me direz, à force d’avancer sur un truc tous les jours, à un moment il finit par… être terminé, justement. Mais je n’avais jamais envisagé les choses sous cet angle. Pas vraiment. Je savais vaguement que je finirais d’écrire un jour, bien sûr. C’est logique. Je suis quelqu’un de rationnel. On ne peut pas écrire un nombre de jours infinis pour produire un livre au nombre de pages fini. Mais je n’avais pas conscience que ce jour arriverait vraiment dans la réalité.
Je ne vous le cache pas je suis super fière. En retard, mais pas tant compte tenu des événements de cette année, et moins que prévu d’ailleurs.
C’est assez perturbant. Comme cet autre échange que j’ai eu il y a un mois et demi :

– Mais… Tu vas bien Florence en fait.
– Ah !… C’est donc ça ce sentiment d’étrangeté.

Ce qui au passage botte le cul à toutes nos préconceptions sur l’artiste qui doit aller mal pour créer parce qu’à partir de là je n’ai jamais écrit aussi régulièrement et efficacement.

Donc où en étais-je. La dépression post-partum.

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Photo : Cyril Zekser pendant un Atelier du Vendredi avec Stéphane Casali

Ce truc qui te tombe sur le coin de la gueule et où tu te demandes où tu as merdé, ce qui ne va pas chez toi, et si tu vas juste passer toute ta vie à être chiante et insatisfaite et BORDEL CAN’T YOU ENJOY THE MOMENT FOR ONE SECOND ?

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Et puis, en fait, c’est okay. Tu te rends compte que c’est juste que tu ne t’en étais pas aperçue avant parce que là, c’était ton premier vrai gros projet sur le long terme, mais que c’est juste que tu as besoin d’être en train de faire quelque chose, et que même si le livre n’est pas fini, il est pour le moment entre les mains de ta correctrice et plus les tiennes. Que ce n’est même pas tant la peur de la confrontation avec le public (même si soyons honnêtes ça me fera forcément flipper à un moment, mais je suis passée par un système de pré-commande justement pour m’ôter toute possibilité de faire marche arrière, ce qui est ma façon toute personnelle de créer mon sentiment de tranquillité. « Lorsqu’on n’a plus le choix, on est libre. »), mais le fait d’être suspendue à autrui là où il y a quelques jours encore j’étais celle qui devait donner le mouvement. Encore heureux que j’aie une totale confiance en ma correctrice. Je t’aime, si tu passes par là.

Un ami brillant me disait sur un tout autre sujet qu’il n’avait jamais l’air content aux yeux des autres quand un de ses projets réussissait, mais que c’était normal, parce qu’au moment de la réussite effective lui-même était déjà deux projets plus loin.

Dans la mesure où, en prévision de la nécessaire période de jachère créative que constituera la finalisation du livre – je veux dire quand je serai en train de vous écrire des petits mots et de vous faire de petites enveloppes -, j’ai déjà relancé mon projet photo sur les cicatrices sur ses rails et je prévois un projet encore secret, dans la mesure aussi où je me remets à poser de façon plus régulière depuis que j’ai retrouvé la mainmise sur ma façon de vivre – ce livre m’a sauvée d’un truc assez moche -, je pense qu’on peut dire que j’ai intériorisé cette idée comme un excellent conseil.

Alors faisons comme ça.

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Steven Pressfield, c’est bon, mangez-en.

Bon parlons du livre maintenant. Je vous disais que je devais en réécrire le synopsis. C’est normal, parce que le projet, qui est parti d’une sorte de fusion entre un guide pratique et un essai sociologique, est resté ça, mais s’est paré de nouveaux attributs. Il est devenu plus personnel, plus engagé, presque militant. Non. Carrément militant. Je pense que, vu ce que j’écrivais et sur quoi vous vous êtes fondés pour décider que ça méritait d’investir dans ce que je ferais no matter what, comme mon Manifeste de 2013, cette phrase ne choquera personne. Cependant, je me rappelle avec amusement du moment où j’ai commencé à écrire mon chapitre 1 en me disant « bon, il va y avoir une critique du marketing et de la représentation des corps dans la publicité, c’est logique », et où je suis arrivée au bout sans m’y attendre et où j’ai constaté qu’on discernait nettement quelque chose de bien plus politisé – pas en termes de partis politiques, juste d’idées – que ça.

Et puis j’ai décidé que c’était okay.

J’espère que ce sera okay pour vous aussi. En tout cas, si vous avez voulu du Florence Rivières, sachez que vous en aurez pour votre argent, parce que ce livre que je voulais être un truc d’intello – je me souviens avec émotion de cette discussion acharnée quand j’ai dit qu’appeler un livre avec un titre de thèse c’était sexy et qu’on m’a rétorqué que ça le serait uniquement pour moi – est la chose la plus personnelle que j’aie jamais produite.

J’ai commencé ce projet en me disant que ce serait la seule chose que j’écrirais. Là, je suis sûre et certaine du contraire. Ce livre tourne une page, non seulement celle de ma vie en tant que « juste-modèle », mais aussi celle qu’elle ouvre. Je ne pensais pas apprendre autant sur moi-même, ni changer autant dans le processus. Et pourtant, c’était une évidence. J’ai changé, et là, dans ces quelques jours où je ne fais pas de maquette ni de réécriture parce que c’est le moment de Julie, j’ai tout le temps de réfléchir au futur, parce qu’il est là, juste devant, presque aujourd’hui.

Et il a l’air radieux.

Merci pour ça.

4 commentaires

  1. Amandine

    Salut Florence,

    hâte de te lire sur papier, c’est vrai que ton bouquin remplit un vide sur le sujet de la pose et de tout ce que cela implique.
    A te lire, tu es vraiment faite pour l’écriture car tu arrives à faire passer de façon très aïgue des sentiments finalement simples, ou plutôt des chaînes de sentiments qu’on distingue souvent mal dans le tourbillon des pensées quotidiennes.
    Merci de ton témoignage, c’est toujours un plaisir de te lire.

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