Thème lancé par le collectif Écris Simone. Contrainte : utiliser le futur.
Encore quelques semaines.
Entre nos mains disparaîtront ces quelques millimètres qui depuis des décennies suffisent à faire gouffre. Le verre froid qui nous sépare, assenant la différence entre eux et nous, l’irréconciliable distance, se lèvera comme un voile. Peut-être alors nous frôlerons-nous, nous mêlerons-nous et ne laisserons plus d’espace entre nos mains. Peut-être irons-nous jusqu’à nous toucher.
Encore quelques jours.
D’abord nous leur rappellerons ce qu’ils ont quitté, nous leur laisserons le temps de s’éveiller, de s’adapter comme nous l’avons fait. Nous leur dirons les vieux accords auxquels nous n’avons pas consenti. Comme ils ont dit que c’était entre nos mains maintenant mais ce qui était entre nos mains, ça n’avait pas changé, c’étaient les petits gestes, ceux qui n’ont de sens que dans un monde qui va déjà bien. C’était toujours ce qu’on nous laissait, les miettes de gestes verts au milieu d’injonctions à surtout, surtout ne pas laisser l’économie mourir plus vite que la planète. Et pendant ce temps, ils étaient cachés là. La moitié d’entre nous, mais pas n’importe quelle moitié ; suffisamment pour que chacun d’entre nous ait un être cher à préserver là, derrière le verre, mais en particulier la totalité d’entre eux. Ils disaient que ça nous rendrait plus responsables. Que la pause était due non seulement à la planète mais à tous ceux, là, qu’on avait endormis.
Nous ne leur raconterons pas les moments où nous avons essayé. Ils étaient tous endormis là avec nos êtres chers et leurs espoirs qu’à leur réveil nous aurions tout nettoyé et peut-être préparé une toute nouvelle planète pour eux, qui sait ? Alors ils ne méritent pas la microseconde de satisfaction que leur donnerait la confirmation que les directives ont été suivies, un temps. Non, nous irons droit au but et à la façon dont nous avons cassé leur monde après qu’ils ont eu brisé le monde. Il ne reste qu’eux à éveiller parce que nous avions déjà ramené ceux que nous aimions. Notre survie commune n’a jamais été une question de quantité de population.
Encore quelques heures.
Ça n’a pas été facile. Il reste beaucoup à faire. Mais petit à petit, année après année le jour du dépassement reculait et les territoires des animaux avançaient, et nous ne pouvions, ne pouvons, ne pourrons rien faire pour ceux qui ont souffert et sont morts, à part ceci.
Nous les éveillerons, les grands propriétaires terriens du monde d’avant, les tireurs de ficelles et les patrons pyromanes. Ils trouveront leurs possessions dispersées par la révolution, les quatre-vingt-dix-huit pourcents d’humanité qui ont eu la prévenance de les laisser dormir tout ce temps où l’on avait mieux et plus urgent à faire que s’occuper d’eux, face à eux, d’une façon ou d’une autre. Et nous les amènerons un à un, les ferons patienter dans les vieux couloirs – ils ont attendu des décennies sous leur glace synthétique, ils peuvent attendre encore.
Et plus tard, aujourd’hui, nous les jugerons.
À leur tour d’être entre nos mains.