N’en fais pas tout un plat. Ils ne se rendent pas compte. C’est pas contre toi. Il y a pire. Tu dis ça parce que t’es en colère. Arrête d’exagérer. Tu devrais t’endurcir si tu ne supportes pas ça. Tu t’es peut-être fait des idées non ? Ce ne sont que des mots. Il ne le pensait pas. Grandis. T’as pas d’humour. T’es parano. Passe à autre chose.
Et baisse la tête, mords-toi la lèvre, resserre les cuisses.
Et ne te mets pas en position de subir ça si tu ne le supportes pas, du coup.
Vous savez, savoir relativiser c’est très bien. Savoir passer à autre chose aussi. Mais vous savez ce qui peut arriver quand on relativise tout, tout le temps ? Ça devient de la négation.
Vous en avez assez d’entendre parler de culture du viol, de harcèlement de rue, de patriarcat et de sexisme ? Nous, on en a assez de les subir. Au jour le jour. De façon quotidienne. Tout. Le. Temps.
C’est pas si grave de ne pas pouvoir sortir sans écouteurs dans les oreilles parce qu’on sait que sans eux on va entendre les sifflets, les remarques grivoises, les insultes qui parsèment de toute façon notre parcours ? C’est pas si grave de ne même pas pouvoir sourire aux gens dans le bus quand tu es de bonne humeur parce que sinon ils vont venir te parler et demander à quel arrêt tu descends et est-ce qu’ils peuvent marcher avec toi, alors que tu leur répètes que tu es sortie pour faire un tour seule ? C’est pas si grave de devoir surveiller son verre même en présence de membres des membres de ton cercle proche parce que tu sais jamais si tu vas pas te retrouver à quatre pattes derrière un arbre sans te rappeler comment tu es arrivée là et le pire c’est que ledit membre ne verra pas ce qu’il a pu faire de mal ? Mais allez vous faire foutre. Ou plutôt non, essayez, pour voir.
Essayez de vivre notre quotidien, ne serait-ce qu’une semaine, qu’une journée, et revenez nous dire que nous manquons de second degré et de self-control. Sans notre self-control, il y a longtemps qu’on casserait des figures. Mais bon, si on cassait des figures, ce serait sûrement parce qu’on est toutes des hystériques, pas parce qu’il y a un putain de problème systémique qui nous pourrit la vie au jour le jour, et même qu’il nous pourrit tellement la vie qu’on en vient à l’intérioriser et à se mette des oeillères parce que regarder le monde extérieur en face devient trop dur certains jours.
Mais vous avez raison, c’est pas si grave.
Toi l’ami, toi l’amant, toi le copain, toi le membre de la famille, toi, le personnage masculin que je sais bienveillant, j’ai quelque chose à te dire.
Tu ne m’aides pas quand tu essaies de me faire « relativiser ».
Ma souffrance est non seulement réelle, mais partagée par des millions d’autres femmes. Elle est la réponse logique à une violence que nous subissons toutes en permanence. En. Per. Ma. Nence.
Et c’est pour ça que je n’ai pas besoin que tu me dises que le mec qui m’a tripotée / fait une blague sexiste / whatever, ne l’a pas fait en pensant à mal. Je m’en fous, en fait. Il en a fait, du mal. Il a ajouté à cette violence quotidienne. Il me l’a rappelée. Il en a ri. Il l’a niée.
Comme toi quand tu me dis que c’est pas si grave et que j’ai de la chance par rapport à d’autres. Que ce ne sont que des mots. Dans « violence verbale », la partie importante, c’est « violence ».
Je sais que tu es mon ami, mais quand je te raconte que j’ai subi de la violence quel que soit son degré et que tu m’expliques que je ne devrais pas y faire attention et que la personne en face ne l’a pas fait exprès, tu me dis qu’en fait mon sentiment n’a pas d’importance. Tu m’expliques pourquoi je ne devrais pas me sentir mal. Tu nies la violence que j’ai rencontrée et tu invalides mon sentiment. Et, ce faisant, tu ne me respectes pas. Les amis se respectent entre eux. Donc, s’il te plaît, respecte moi.
Parce que tu vois, même si tu penses bien faire, quand tu me dis que c’est pas si grave et que je ne devrais pas réagir comme ça, ce que tu me dis, c’est que c’est moi le problème. C’est pas moi le problème. C’est le sexisme, le putain de problème. Et quand tu me dis que ça va, c’était pas méchant, tu trouves une excuse au type en face qui m’a, une n-ième fois, fait sentir que dans l’espace public, j’étais vulnérable. Que j’étais née pour être une victime. Que j’avais besoin d’un homme pour être en sécurité. Que je n’étais pas légitime, puisque j’étais une femme. Nier l’oppression n’a jamais aidé personne.
Ça ne change rien que tu n’aies jamais vu personne se faire harceler. Le harcèlement n’en existe pas moins. Il n’y a pas une gigantesque hallucination collective ne touchant que les personnes équipées d’un utérus à l’oeuvre, je t’assure, j’ai checké. Alors quand on parle de ce qu’on vit, serait-il possible, désormais, de… je ne sais pas, éviter d’avoir à passer une heure à justifier que si si on sait ce qu’on dit, et passer directement à la phase où on reçoit du soutien de la part des personnes qui nous aiment ?
Ce serait sympa. Et puis, avec tout ce temps gagné, peut-être qu’on pourrait enfin se consacrer à faire changer les choses, histoire d’éradiquer cette violence dont on en est encore à débattre pour savoir si c’en est ou non.